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Table ronde

Connaître, reconnaître

et valoriser : regards croisés

sur l'intérêt du patrimoine

Eric Radovitch, ABF / STAP31,

Benoît Melon, architecte-conseil à la DRAC Midi-Pyrénées,

Jean-Louis Coll, maire de Pinsaguel,

Dominique Coquart, maire de Villeneuve-Tolosane,

Pascal Merz, architecte à l’Agence AM-PM,

Céline Dalmayrac, architecte

et M. Castels

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La vision des défenseurs du patrimoine

Peut-on dire que les équipements publics, et plus particulièrement ceux édifiés durant la période 1945-1975, constituent des éléments de patrimoine ? Pour répondre à cette première question, Eric Radovitch, Architecte des Bâtiments de France au sein du Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine de la Haute-Garonne (STAP31), s’est arrêté plus longuement sur la définition du terme « patrimoine ». Si Le Larousse donne aux lecteurs ses principales significations – soit « un ensemble de biens hérités du père et de la mère », mais aussi (de manière plus parlante pour les acteurs de l’acte de construire) « l’héritage commun d’une collectivité » -, c’est dans le texte de la loi sur les monuments historiques de décembre 1913 que l’on trouve la définition la plus appropriée du « patrimoine urbain et architectural ». Selon ses mots, le patrimoine est constitué par « les immeubles dont la conservation présente au point de vue de l’Histoire ou de l’Art, un intérêt public ». Dès lors, à l’analyse de ces considérations, il n’est pas usurpé de dire que certains équipements publics, symboles d’une architecture et d’une histoire passée (dont on veut se souvenir), embrassent les caractéristiques d’édifices patrimoniaux.

 

Reste la question du repérage ou plutôt de la reconnaissance de la réelle valeur patrimoniale de ces édifices ? « Comment peut-on faire pour distinguer ceux qui sont majeurs de ceux qui sont mineurs et surtout, le cas échéant, comment peut-on les protéger ? » demande Benoit Melon, architecte, conseiller pour l’architecture à la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Midi-Pyrénées. Pour certains ouvrages, les plus prestigieux, la question ne se pose pas, puisque leur rénovation répondra à des règles dictées par leur labellisation. Classés au « patrimoine mondial de l’UNESCO », répertoriés « Monument historique », ou inclus dans le périmètre d’un Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) ou d’une Aire de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP), ces bâtiments (ou ensemble de bâtiments) bénéficient d’une protection sans faille de l’ABF. Automatiquement sauvés de la démolition, toute demande de permis de construire accompagnant un projet de rénovation les concernant fera également l’objet d’une attention particulière. « Le dialogue avec le maître d’ouvrage et le maître d’oeuvre portera alors sur le degré de la rénovation » explique Eric Radovitch. Et c’est fréquemment le parti-pris de la douceur qui s’imposera tel que ce fût le cas pour le couvent des dominicains à Rangueil, le lycée Saint-Sernin ou encore les galeries Lafayette à Toulouse. Dans d’autres cas, cette préférence peut s’annoncer plus discutable : c’est ce qui se passe actuellement pour les parkings toulousains de Victor Hugo et des Carmes pour lesquels les acteurs hésitent encore à engager des travaux plus ou moins lourds.

 

Lorsque les édifices ne sont pas juridiquement protégés par un label ou par un périmètre de protection, le choix de la destruction ou de la rénovation dépend alors, non pas d’une règlementation mais d’un choix collectif. Un concept plutôt ambigu pour lequel Benoit Melon a un début de solution : « la meilleure façon c’est de laisser faire la vie (architecturale) ». C’est à dire que les élus, les habitants, les associations sont les mieux placés pour identifier les édifices qui comptent esthétiquement et/ou techniquement et/ou culturellement et/ou affectivement… bref patrimonialement. Le label « Patrimoine du XXème siècle » pourra alors faciliter cette reconnaissance (Cf. encart) et traiter la question de la rénovation lourde (avec pourquoi pas des phases de destruction) de manière plus sereine, sans tabou. « Car l’évolution fait partie de la vie » explique l’intervenant de la DRAC. C’est ainsi que « si les édifices dont on parle aujourd’hui ont connu une première vie, il ne leur est pas interdit d’en connaître une deuxième avec des adaptations qui deviendront peut être emblématiques avec le temps, faisant des bâtiments transformés les monuments historiques de demain ». C’est d’ailleurs la notion de « droit à l’oubli » que la Commission régionale du patrimoine et des sites met en avant lorsqu’il est question d’un projet concernant un édifice issu de la période récente : faut-il le conserver à tout prix, le figer en l’état au même titre qu’une cathédrale gothique, ou laisser faire la vie en accompagnant l’édifice vers d’autres destinées ? Une chose est sûre, il n’y pas de réponse toute faite à ces questions et c’est bien aux acteurs locaux de décider au cas par cas, en fonction de leur propre conscience patrimoniale et de leurs projets.

 

Zoom

Un patrimoine qui sauvegarde

« Patrimoine du XXe siècle » est un label qui a été créé en 1999 par le ministère de la Culture pour être décerné à des réalisations architecturales et urbanistiques appartenant au patrimoine culturel du XXe siècle et considérées comme remarquables. Contrairement à l'inscription ou au classement des monuments historiques par exemple, il n'en résulte pas de mesure de protection ou de contraintes particulières. Il s'agit simplement d'une mise en lumière des productions labellisées.

 

La vision de la maîtrise d’ouvrage

Jean-Louis Coll, maire de Pinsaguel et vice-président de la Communauté d’Agglomération du Muretain connaît l’importance des enjeux esthétiques, techniques, culturels et même affectifs que soulèvent certains projets concernant les équipements publics d’après guerre. Alors même que les critiques de certains concitoyens proférées à l’encontre de la mairie actuelle - construite en 1975 en lieu et place de la mairie-école – résistent encore, l’équipe municipale s’est lancée depuis peu dans la rénovation de ce bâtiment. Cette fois, conscient de la qualité originelle du bâtiment, et de sa valeur patrimoniale, le maître d’ouvrage a écarté toute option de tabula rasa. L’intervention s’en est tenue à la réorganisation interne de la mairie-patio, afin de l’adapter aux besoins contemporains : « nous ne sommes plus exclusivement dans la gestion administrative, mais davantage dans l’animation locale, avec, de surcroît, un équipement qui entend participer à la création de la centralité ». Regroupant déjà les bureaux administratifs, la médiathèque, la salle des fêtes et bientôt la maison de la citoyenneté – à la place de l’ancien logement de l’instituteur - la mairie se vit en effet comme « le cœur battant de la commune ». Preuve que la protection du patrimoine ne doit pas empêcher l’évolution.

 

À Villeneuve-Tolosane, les opérations de rénovation initiées à l’endroit des équipements publics de la commune n’ont pas été initialement guidées par leur valeur patrimoniale. Ainsi, les deux projets que Dominique Coquart, maire de cette commune et vice-président de la Communauté Urbaine de Toulouse Métropole, donne en exemple (une crèche et un gymnase qui ont été visités l’après-midi par les participants de cette journée) ont été transformés parce qu’ils avaient été jugés obsolètes et non fonctionnels. Pourtant, l’aspect patrimonial s’est vite invité à la réflexion lorsqu’il a fallu trancher entre deux options : démolir pour reconstruire ou rénover. « À ce moment précis, outre le coût, c’est l’attachement des habitants pour ce patrimoine qui a fait mouche auprès des élus ». Des citoyens qui seront d’autant plus liés à ce patrimoine local qu’ils seront sensibilisés sur son existence et sur sa qualité. C’est là le rôle des professionnels de l’architecture qui « feront lever le nez des passants et leur désigneront des détails architecturaux auxquels ils étaient jusqu’à là insensibles ».

 

La vision de la maîtrise d’oeuvre

Pour Pascal Merz, architecte à l’Agence AM-PM chargé de la rénovation de la mairie de Pinsaguel, la réussite d’un projet de rénovation passe par le dialogue entre la maîtrise d’ouvrage (qui pose la question) et la maîtrise d’oeuvre (qui fait la réponse). Selon lui, ces deux parties doivent s’enrichir mutuellement tout au long de la conception et de la réalisation du projet : « il ne faut pas penser que l’un a raison et que l’autre exécute ». Autre élément d’importance, la connaissance et l’élargissement des parties prenantes : « si l’on parle des « parties prenantes génériques » (les élus) il ne faut pas oublier « les parties prenantes spécifiques » (les électeurs, les utilisateurs, les passants, les voisins…) et encore moins « les parties prenantes absentes » (la nature et les générations futures). Ce n’est qu’à partir du moment « où tous ces acteurs auront été mis au tour de la table que l’on pourra espérer aboutir à une bonne question et à une bonne réponse ». 

 

Dans une analyse plus technique, c’est (encore une fois) la phase diagnostic sur laquelle  Céline Dalmayrac, architecte, a souhaité insister. Et c’est sa propre expérience qui parle : lorsqu’elle arrive sur un projet, elle a besoin de s’attarder sur l’état des lieux du bâtiment et réaliser un diagnostic, prévu dans le Code des marchés publics, portant sur plusieurs critères : quelle est sa légitimité historique ou culturelle, quelle est sa position dans l’espace public, quelles sont ses qualités techniques mais aussi quel est son potentiel d’adaptabilité ? C’est alors un travail de synthèse qui s’engage, « pour établir une hiérarchie des priorités et ainsi proposer aux élus une solution plus ou moins radicale ».

 

Pour finir, M. Castels revient sur un certain nombre de contraintes réglementaires qui vont parfois « à l’encontre d’une gestion en bon père de famille ». Si la mise en accessibilité ou encore le traitement de l’amiante s’avèrent des postes (très) onéreux mais plus difficilement discutables (du moins pour le second), c’est « le dictat énergétique » que dénonce l’intervenant. « Amener certains bâtiments anciens à respecter les normes de la RT 2012 est parfois insupportable - au point de les sacrifier ». Un constat amer surtout vrai pour les bâtiments dont l’écriture architecturale remarquable n’autorise pas une isolation par l’extérieur. Voilà pourquoi « il faut oser entreprendre des actes de résistance et remettre en cause certaines règlementations trop rigides – comme l’interdiction d’installer des toilettes sèches dans les écoles - qui s’inscrivent dans une course à l’économie d’énergie un peu folle ». On peut douter en effet de l’intérêt écologique de certains travaux, qui sont aussi réalisés au mépris d’autres intérêts, culturels notamment. Pourtant, rien n’est perdu d’avance : la préservation de la planète et la protection du patrimoine sont tout à fait conciliables, dès lors que l’on est modérés dans un sens comme dans l’autre.

 

 

 

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